Chacun de nous croule sous les outils de communication plus sophistiqués les uns que les autres. Pourtant, nous avons le sentiment qu’on n’a jamais aussi mal communiqué. C’est un enjeu majeur : les équipes sont de plus en plus virtuelles. Leurs membres ne se rencontrent plus qu’à de rares occasions qui ne rattrapent jamais les mois passés sur des fuseaux horaires différents… et les malentendus qui en résultent.
Les outils de communication souffrent de plusieurs défauts non surmontés : pour commencer, ils n’arrivent pas à donner ou rappeler le contexte dans lequel l’information est donnée. Qui n’a pas eu ce sentiment de ne rien comprendre à un email qui ne prend évidemment pas le temps de tout rappeler, sous peine d’être trop long et jamais lu. La même information donnée face à face permet en quelques mots à celui qui la donne de vous faire comprendre de quoi il s’agit.
Ensuite, l’information n’est jamais distribuée de manière équivalente et égale à tous. On oublie toujours quelqu’un qui s’en plaindra après.
La signification des silences des correspondants peut varier du tout au tout : pas reçu le message ? Pas considéré le message comme important ? En fait, la communication moderne n’arrive pas encore à établir un état des lieux mutuel et commun de qui a l’information, à quel moment. Si la même information n’est pas aux mains de toute l’équipe, en même temps, il est impossible de répondre aux objectifs communs de l’équipe, avec des déceptions, une diminution de la confiance. Dans une équipe dispersée entre plusieurs sites ou plusieurs pays, un échec sera attribué plus facilement à un membre de l’équipe qui n’a pas fait ce qu’il fallait à temps, une accusation plus difficile à (main) tenir dans une équipe sur un même plateau.
L’outil n’est pas toujours bien choisi
On utilise l’outil de communication avec lequel on est le plus familier : ce sera souvent l’email. C’est une erreur : on ne peut pas mettre dans un email le non-verbal qui donne la majeure partie du sens qu’on communique. L’email et les autres moyens de communication basés sur le texte sont efficaces quand il s’agit de pousser une information factuelle ou de routine. Il est inadapté pour l’interaction, la recherche d’une solution à un problème ou la négociation. Rien n’est plus irritant qu’une longue chaîne de mails qui en est le signe et dans laquelle on est tout à coup invité. Quant à donner un feedback, une évaluation ou un jugement sur la qualité du travail de quelqu’un par email, rien n’est plus impersonnel et blessant si on doit communiquer quelque chose de négatif.
L’email n’est que la face visible de l’iceberg : nos moyens de communication "modernes" restent extrêmement traditionnels, car basés sur le texte. Mais le texte, la manière dont nous rédigeons crée tellement de biais, de présupposés, de procès d’intention ! Qu’on donne un texte à un groupe de plusieurs individus et qu’on leur demande ce qu’ils en retirent. On serait surpris. Par écrit, on a tendance à être moins sur nos gardes et à être plus négatifs.
Quand on ne voit pas la personne en face de soi, il est plus facile de dire certaines choses, même inconsciemment. De la même manière, quand on reçoit une communication sous forme écrite, notre tendance est de la voir plus noire, plus négative qu’elle n’est. Qui ne s’est jamais arrêté sur une phrase en se demandant sa signification profonde. Le succès des émoticônes, très utiles, est la preuve du besoin d’accompagner l’écrit par du non-verbal… écrit. Des recherches ont montré qu’un message positif envoyé d’une personne à une autre était vu neutre par le destinataire et un message neutre était alors perçu négativement.
Chacun a ses propres lentilles quand il reçoit une communication écrite : on croit souvent avoir insisté sur ce qui nous semblait important, celui qui va nous lire y verra d’autres priorités. Souligner, mettre en gras ou en lettres capitales met une dose de non-verbal qui… nous agresse la plupart du temps. Mieux vaut factualiser, demander dans le mail de fournir une réponse, séparer un long mail avec de multiples demandes en emails séparés.
Asynchrone
À quelques exceptions près, la communication reste asynchrone : tous les outils d’aujourd’hui sont faits pour laisser un message, prêts à être lus dès que notre correspondant le voudra bien ou le pourra. Justement, là est le problème : on use de cette faculté comme d’une patate chaude. Une fois qu’on a envoyé la demande ou l’information, nous ne nous préoccupons plus de son suivi. Il est acquis, ce qui aboutit à des catastrophes. L’absence de réaction, ne pas se synchroniser, c’est l’équipe virtuelle qui se délite, c’est le signe que votre équipe se laisse distraire par des tâches locales et n’a plus le focus. Il faut maintenir le lien, par exemple en demandant des informations sur la situation sur place, les contingences qui font que le membre de votre équipe ne peut plus se consacrer à vous.
Le plus difficile dans une équipe virtuelle c’est de créer une confiance mutuelle. Dans des équipes qui ont la chance d’être réunies en un même endroit, les interactions sociales, la manière de travailler qui s’adapte plus vite, le feedback non verbal permanent crée ce sentiment rapidement.
Des équipes aux 4 coins du monde vont forcément rassembler des cultures, des expériences, des manières de faire très différentes. C’est a priori un atout pour l’innovation, mais à distance les uns des autres, les membres de l’équipe seront moins motivés à partager leurs idées ou l’information s’ils ne peuvent pas voir la réaction du reste de l’équipe. Les outils de communication actuels réduisent les signaux sociaux. Il y a de quoi innover !
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Pour en savoir plus :
Finding Common Ground in Dispersed Collaboration, CATHERINE DURNELL-CRAMTON, Organizational Dynamics, Volume 30, Issue 4, Summer 2002
Communication and Trust in Global Virtual Teams, Sirkka L. Jarvenpaa, Dorothy E. Leidner, Organization Science.
Five Ways to Improve Communication in Virtual Teams, Sloan Managament Review, Fall 2018, N. Sharon Hill and Kathryn M. Bartol