Historiquement, le principe de bonne foi est né de la nécessité de faire contrepoids à la toute puissance du formalisme juridique qui caractérisait alors le contrat de droit romain.
A l’autre bout du spectre, l’émergence de la théorie de l’autonomie de la volonté au début du XIXème siècle signifia un temps le glas juridique du principe de bonne foi.
Entre les deux périodes, le principe de bonne foi trouva matières à consolidation au Moyen-Age et à l’époque moderne avant de resurgir à nouveau dans les années 1980.
Sans en surestimer l’impact, le principe de bonne foi constitue un phénomène particulièrement prégnant du droit des contrats.
Au plan substantiel, il en a résulté un certain nombre d’innovations juridiques comme l’obligation précontractuelle de négociation, la nullité des clauses abusives et la théorie générale de l’imprévision. Codifiant les avancées de la jurisprudence française en la matière, la réforme en cours du droit des contrats s’inscrit dans cette tendance. L’article 1134 du Code civil cantonnait encore la bonne foi au seul domaine de l’exécution des contrats. Il disposait dans son alinéa 3 que les conventions légalement formées « doivent être exécutées de bonne foi ».
Dans le prolongement des avancées du droit prétorien, le nouvel article 1104 en élargit aujourd’hui le périmètre d’action en disposant que « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public ».
Sur la base de ces apports, nous traiterons les questions successivement du renvoi à l’obligation de bonne foi contractuelle, de la situation au regard des différentes branches du droit français, de l’étendue du champ d’application de l’obligation de bonne foi, de la protection juridique du rapport de confiance contractuelle qu’elle induit, de la diversification possible des fonctions de la bonne foi et de la portée du statut juridique de l’obligation de bonne foi. Il résulte de l’ensemble que, pour élastique qu’elle soit et outre l’accès au contrat qu’elle donne au juge, la bonne foi a une double fonction propre d’effectivité normative et de contrepoids à l’exclusivité de la volonté dans le processus contractuel.
I) La prégnance du principe de bonne foi en droit contemporain des contrats.
Après une longue éclipse contemporaine de l’emprise du pouvoir exclusif de la volonté sur le contrat, le principe de bonne foi innerve très largement le droit contractuel contemporain. Il en est ainsi tant en interne qu’à l’international ainsi que dans leurs différentes branches. Ses champs d’application y sont en sus relativement étendus.
1) La multiplicité des renvois à l’obligation de bonne foi contractuelle.
Au-delà des nuances qui les distinguent, la bonne foi et la loyauté sont aujourd’hui des principes structurants de l’ensemble du droit contractuel contemporain. Ils en irriguent en effet les différentes branches tant en droits internes qu’à l’international. Le principe de bonne foi renforce tout d’abord l’édifice normatif du droit international public qui est un droit éminemment contractuel. Le caractère traditionnellement lacunaire de ce droit et l’emprise qu’y exerce la norme coutumière créent un véritable besoin de recourir aux notions d’équité et de la bonne foi applicables aux rapports internationaux. Le développement de la coopération internationale requiert également des standards de confiance qui se nourrissent du principe de bonne foi. Le besoin d’unité du droit international public trouve enfin matière à réalisation dans les principes généraux du droit dont relève très certainement l’obligation de bonne foi.
Les normes fondamentales que sont le Pacta sunt servanda, l’interdiction de l’abus de droit et l’interdiction de la perfidie dans le droit de la guerre puisent donc dans le principe de l’obligation de bonne foi leurs racines juridiques. De même en est-il également de la primauté de l’esprit sur la lettre dans l’interprétation des traités, de l’interdiction de priver une transaction de son objet et de son but, du principe selon lequel nul ne peut profiter de son propre tort, de la théorie de l’apparence, de l’estoppel, de la théorie des obligations pré-conventionnelles, du caractère obligatoire des actes juridiques unilatéraux et de la doctrine de l’acquiescement normatif.
De son côté, la lex mercatoria donne au principe de bonne foi un rôle particulièrement dynamique au sein de son corpus normatif tandis que le droit de la renégociation du contrat international y puise une grande partie de sa matière. Au-delà, la propension des arbitres du commerce international à recourir au principe de bonne foi est également notoire. Le phénomène tient pour une part dans la tendance des arbitres à donner à l’équité une place non négligeable dans leurs décisions. Il en résulte donc une interprétation extensive des droits nationaux relatifs à la bonne foi.
Les tribunaux arbitraux se sont ainsi prononcés sur l’admission de la théorie de l’imprévision en la déduisant du principe général de bonne foi. La règle de la responsabilité pour faute a été rattachée au principe de bonne foi par une sentence arbitrale de 1979. Celle-ci visait le cas particulier de la responsabilité contractuelle dans des termes suffisamment généraux qu’ils permirent sa transposition dans le domaine de la responsabilité délictuelle. Il a également été jugé en 1990 qu’en application de la lex mercatoria, « la notion générale de bonne foi en affaires et les usages du commerce international » permettent d’étendre au dirigeant d’une société la responsabilité des engagements de celle-ci.
En droit interne, la théorie de la bonne foi a été moins poussée dans les ordres juridiques anglo-saxons que dans les ordres juridiques continentaux. On la retrouve en effet en bonne place dans les concepts italien d’affidamento et allemand de Vertrauensschutz. C’est d’ailleurs en Allemagne que la doctrine a eu ses développements les plus substantiels. En France, elle fait depuis plus de deux siècles l’objet d’un article 1134-3 du Code civil applicable au domaine de l’exécution des contrats et, tout récemment, d’un projet d’article 1104 qui, dans le prolongement du droit prétorien, en étend le principe au domaine de la négociation et de la formation du contrat. Bien que le droit législatif ne définisse enfin véritablement pas la notion, on la retrouve ainsi dans un grand nombre de branches de droit privé et à la base de nombreuses solutions jurisprudentielles.
2) La situation française au regard des différentes branches du droit.
En droit procédural français, le principe de bonne foi trouve sa pleine expression dans le principe du contradictoire ainsi que dans l’obligation de communication des pièces des articles 15 et 16 du Code de procédure civile. Dans un arrêt du 7 juin 2005, la première chambre civile de la Cour de cassation rappelle notamment que « le juge est tenu de respecter et de faire respecter la loyauté des débats ». En matière de preuve, dans un arrêt du 7 janvier 2001, l’assemblée plénière de la Cour de cassation écarta des débats un enregistrement téléphonique fait à l’insu des auteurs au nom du « principe de loyauté dans l’administration de la preuve ». En matière pénale, un arrêt du 27 février 1996 dispose qu’un stratagème ayant vicié l’établissement de la vérité, « il a été porté atteinte au principe de la loyauté de la preuve ».
En matière de sûreté, il est aujourd’hui possible d’envisager la caution comme un contrat de bonne foi. Dans le silence de l’article L. 420-1 du Code de commerce concernant les comportements contraires à la loyauté en matière commerciale, la jurisprudence en fonde le principe sur les notions d’action en responsabilité pour concurrence déloyale et, plus largement, d’atteinte aux règles de la libre concurrence. En matière de contrat de consommation, la confiance du consommateur sur le fondement du principe de bonne foi est notamment protégée par l’article L.211-4 du Code de la consommation, relatif à la garantie par le vendeur de la conformité du bien au contrat ainsi que l’article L. 221-1 du même Code qui dispose que « les produits et les services doivent… présenter la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre ».
En matière de droit du travail, la bonne foi est au cœur des relations existant entre employeur et salarié. L’article L. 1222-1 dispose de manière particulièrement explicite que « le contrat de travail est exécuté de bonne foi ». Par ailleurs, parce que le contrat de travail est par nature un contrat déséquilibré mettant le salarié en état de subordination moyennant rémunération du temps de travail, le législateur et le juge entendent la loyauté de l’employeur de manière extensive. Il en résulte une distinction nette entre les obligations de bonne foi respectivement de l’employeur et du salarié. De longue date, l’exigence de bonne foi est enfin requise dès la phase des pourparlers et la procédure d’embauche pour se poursuivre tout au long de l’exécution du contrat jusqu’à son extinction.
Au stade de l’embauche, il résulte du principe de loyauté un article L. 5331-3 du Code du travail qui interdit à l’employeur de tromper le candidat à l’embauche sur l’emploi proposé, la rémunération et le lieu de travail. Il résulte également de l’article L. 1221-6 que les informations demandées au candidat « ne peuvent avoir comme finalité que d’apprécier sa capacité à occuper l’emploi proposé ou ses aptitudes professionnelles ». La conséquence en est que les demandes d’information doivent avoir un lien direct et nécessaire avec la seule évaluation des aptitudes professionnelles.
Dans l’exécution du contrat, le respect du principe de la bonne foi contractuelle oblige tout particulièrement l’employeur. Il en est ainsi de l’exécution précise des termes du contrat de travail et de la prise en considération de certains impératifs familiaux comme le rapprochement de conjoints. Par extension, une jurisprudence du 23 février 2005 a considéré qu’il y avait, en matière d’exécution d’une clause de mobilité, manquement de l’employeur à son obligation de bonne foi lorsque la mutation n’est pas opérée dans l’intérêt de l’entreprise et si elle n’est pas mise en œuvre de manière raisonnable. Un arrêt du 10 juillet 1995 consacré ensuite par l’article L. 6321-1 du Code du travail fait également découler de la bonne foi l’obligation qu’a l’employeur « d’assurer l’adaptation des salariés à l’évolution de leurs emplois et de favoriser leur reclassement ».
L’exigence de bonne foi contraint également le salarié. Dans la phase de recrutement, l’article L. 1222-2 dispose que « le salarié est tenu de répondre de bonnes foi » aux demandes d’information sur ses aptitudes professionnelles. En matière d’exécution du contrat de travail, un arrêt du 25 février 2003 de la chambre sociale de la Cour de cassation énonce que le non-respect de l’obligation de loyauté constitue une faute. Dans une décision du 15 juin 1999, la même chambre considère en outre que la suspension du contrat de travail ne supprime pas l’obligation de loyauté du salarié de ne pas porter préjudice à l’entreprise et à l’employeur. Constituent également des fautes au regard du principe de bonne foi, le refus de communiquer l’information nécessaire à l’activité de l’entreprise ainsi que la pratique de l’accusation mensongère.
On retrouve également l’obligation de loyauté en droit français des contrats administratifs. Il en est ainsi malgré l’absence d’égalité contractuelle entre les parties au contrat et l’étendue du pouvoir unilatéral de l’administration en matière de résiliation, de modification et de sanction du contrat administratif. Le principe de bonne foi en droit administratif des contrats gouverne ainsi la théorie de l’imprévision, le régime de l’abus de droit, le domaine du dol ainsi que les règles applicables au détournement de pouvoir et aux vices du consentement.
Les domaines de la confiance et de la collaboration contractuelles qui dérivent de l’obligation de bonne foi sont également particulièrement prégnants dans les contrats administratifs de longue durée puisant ici leur force juridique tout autant dans le relationnel que dans le transactionnel. Ainsi en est-il tout particulièrement en matière de délégation de service public et dans le domaine de la passation des marchés publics. En matière d’exécution du contrat, c’est également sur le fondement de la bonne foi que le juge administratif évalue le caractère raisonnable et cohérent du comportement des contractants dont celui de l’administration.
Pour autant, il n’existe pas de texte législatif consacrant explicitement l’obligation de bonne foi en droit administratif français. Aussi est-elle essentiellement le fait du droit prétorien. Rares sont néanmoins les décisions de la justice administrative faisant explicitement état d’une obligation de loyauté contractuelle. Ceci n’empêche pas la notion d’être sous-jacente au raisonnement du juge administratif. Dans un arrêt Ville de Béziers du 29 décembre 2009, le juge administratif édicta ainsi le principe selon lequel les parties d’un recours en annulation de contrat ne pouvaient invoquer que des moyens conformes à l’exigence de « loyauté des relations contractuelles ».
3) L’étendue du champ d’application du principe de bonne foi en droit privé des contrats.
Au stade de la formation du contrat, l’obligation de bonne foi des parties sera probablement régie par le nouvel article 1103 de l’actuel projet de réforme du droit des contrats qui reprend les solutions jurisprudentielles dégagées en la matière. L’étendue du champ d’application du principe de bonne foi renvoie par ailleurs, à ce stade, au durcissement actuel de la jurisprudence en cas de non-respect de l’obligation dans le pacte de préférence.
En la matière, le régime de la bonne foi couvre également le contrat contractuellement soumis à l’aléa d’un événement incertain. L’obligation est ainsi suspensive lorsqu’elle nait de la survenance de l’événement en question. A l’inverse, il y a condition résolutoire lorsque l’avènement de l’événement anéantit l’obligation contractuelle en question. Dans les deux cas, le caractère aléatoire de l’événement joue un rôle déterminant. D’une part, l’obligation contractuelle prise en tant que telle nait de sa survenance ou de sa non-survenance. D’autre part, la condition de l’aléa induit, pour les parties, une obligation de ne pas y faire obstacle.
L’article 1178 du Code civil dispose en outre que « la condition est réputée accomplie lorsque c’est le débiteur, obligé sous cette condition, qui en a empêché l’accomplissement ». Enfin, d’une jurisprudence du 19 avril 2000, il ressort que l’obligation de bonne foi du débiteur couvre non seulement l’obligation de ne pas entraver l’événement aléatoire mais également celle de contribuer à sa réalisation, passant ainsi d’une obligation de ne pas faire à une obligation de faire.
Dans l’exécution du contrat, le principe de la bonne foi est traditionnellement régi par l’alinéa 3 de l’article 1134 du Code civil. Il en résulte, pour le débiteur, une double obligation de ne pas manquer volontairement à ses obligations contractuelles et de ne pas frauder les droits de son créancier. Dans le premier cas, la faute est dolosive en raison du caractère volontaire du comportement. Il en est notamment ainsi lorsque le débiteur génère de lui-même une situation qui fait obstacle à la réalisation de son obligation contractuelle. Dans le second cas, la violation de l’obligation de bonne foi du débiteur est assimilée par la jurisprudence à une fraude au détriment du créancier dès lors que le débiteur agit en conscience de la nuisance qu’il crée. Il s’agit de la fraude paulienne dont une des manifestations est effectivement l’organisation par le débiteur de sa propre insolvabilité.
La sanction de la violation par le débiteur de son obligation de bonne foi est également ici durcie de trois manières par rapport à ce qu’il en est dans le droit commun des contrats. D’une part, le débiteur de mauvaise foi ne peut pas se prévaloir des clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité du contrat. D’autre part, son obligation de réparer se trouve soumise à un élargissement du périmètre du dommage réparable de la classique limitation aux seuls dommages prévus de l’article 1150 du Code civil à l’intégralité du dommage subi par le créancier. Peuvent s’y ajouter d’autres effets comme la requalification de la rupture du contrat ou la privation de certaines tolérances en matière d’aménagement de la dette.
L’obligation de bonne foi s’étend enfin également au créancier. Par une décision du 23 juin 2004, le créancier de mauvaise foi se voit aujourd’hui empêché d’invoquer à son profit la défaillance contractuelle du débiteur. Le créancier doit notamment s’abstenir de rendre l’exécution du contrat difficile voire impossible à réaliser pour le débiteur. Pour ce faire, c’est sur le fondement de l’obligation de bonne foi que le droit français s’appuie pour considérer que l’esprit du contrat prime sur sa lettre. Il en résulte donc une prise en considération des circonstances mêmes de l’exécution du contrat. Sur cette base, bien que répondant à la lettre du contrat, l’exécution de l’obligation peut dès lors être jugée non-conforme par le juge.
II) Les éléments de consolidation du principe de bonne foi contractuelle en droit français.
Au-delà de la diversité des normes et des décisions jurisprudentielles renvoyant directement ou indirectement à la bonne foi, celui-ci semble occuper dans le droit contractuel français une position inversement proportionnelle au poids qu’y exerce la volonté du contractant. De ce constat, il résulte une élasticité relative du concept propre à irriguer l’ensemble de la matière juridique contractuelle ainsi qu’une trajectoire temporelle à éclipse.
1) Objectif premier de la bonne foi : la protection juridique du rapport de confiance contractuelle.
La théorie de la bonne foi en vue de la protection de la confiance légitime des contractants trouva à se développer dès l’époque des grandes codifications. Il s’agit ici de protéger la confiance légitime qu’un sujet de droit a générée chez son partenaire par ses actes, déclarations, comportements ou omissions. Par ce moyen, il s’agissait en fait de tempérer la toute puissance de la volonté au sein l’opération contractuelle en la soumettant à une norme supérieure.
En pratique, le juge examine s’il y a eu tromperie de la confiance du cocontractant pour déterminer si un comportement peut être qualifié de mauvaise foi. Ainsi en est-il en cas de rupture des pourparlers, de risque de dol ou de rupture du contrat. Notamment à partir des arrêts du 28 février 1995, du 15 octobre 2002 et du 26 novembre 2003, son raisonnement est alors le suivant. Si, en raison du principe de la liberté contractuelle, les parties ne sont pas tenues de conclure, elles n’engagent pas moins des pourparlers contractuels dans le but de conclure un contrat. Dans ce cadre, l’échec des pourparlers est générateur de faute lorsque la négociation est emprunte de mauvaise foi. Il en est notamment ainsi lorsqu’il s’avère que le partenaire n’a pas l’intention sérieuse de conclure de contrat tout en maintenant son partenaire dans l’expectative.
Par extension, la rupture brutale d’une négociation par non-respect d’un préavis raisonnable peut également déboucher sur la mise en cause de responsabilité pour entorse au principe de bonne foi des négociations. Une rupture en conformité avec le principe de bonne foi requiert en outre du partenaire qu’il informe son partenaire de sa décision dans un délai raisonnable. Ce délai est alors évalué en fonction de la durée même des relations précontractuelles antérieures et de l’état d’avancement des négociations au jour de la rupture. Dans le premier cas, plus cette durée est longue et plus le délai requis doit être étendu. Dans le second cas, la négociation est considérée comme avancée lorsque, sur la base de l’expectative, des avances de fonds et des frais substantiels ont été notamment engagée par le cocontractant abusé. A cet ensemble, peuvent également venir s’y ajouter des actions en responsabilité pour détournement d’informations confidentielles ou intention de nuire.
Au cours des autres phases du processus contractuel, la protection de la confiance par le jeu de la bonne foi du cocontractant prend différentes formes. En cas de violation du pacte de préférence par lequel le partenaire promettant à l’avant-contrat s’engage à contracter en priorité avec le partenaire bénéficiaire une fois la décision de contracter prise, la sanction jurisprudentielle s’est aujourd’hui durcie sur le fondement de la bonne foi. Traditionnellement, le non-respect du pacte de préférence était sanctionné par une condamnation aux paiements de dommages-intérêts. Un arrêt du 26 mai 2006 de la chambre mixte de la Cour de cassation décida qu’il pouvait également en résulter une annulation du contrat passé et la substitution de son bénéficiaire au tiers contractant de mauvaise foi lorsque ce tiers a eu « connaissance, lorsqu’il a contracté, de l’existence du pacte de préférence et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir ».
Dans la construction du consentement au contrat, la violation de l’obligation de bonne foi est également constitutive du dol de l’article 1116 du Code civil relatif aux « manœuvres pratiquées par l’une des parties… telles qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté ». Ce dol peut être principal ou incident et inclut les situations de réticence dolosive. Il y a également confiance trompée en cas d’exercice déloyal d’une clause contractuelle. Ainsi en est-il de la mise en œuvre fautive consistant, pour le créancier, à faire naître, chez le débiteur, la croyance que le paiement de sa dette ne sera pas exigé. En matière de rupture contractuelle, le principe de la liberté de rompre est enfin la contrepartie du caractère indéterminé de l’engagement. Le mécanisme juridique en cas de rupture du contrat sur fond de violation de la bonne foi est alors de même nature qu’en cas de rupture de la négociation précontractuelle.
Sur le fond, la confiance dans le processus contractuel mettant en jeu le principe de bonne foi répond à trois critères qui sont l’effectivité de la croyance de la partie trompée, la cohérence comportementale des cocontractants et la légitimité de la confiance de la partie trompée. La croyance de la partie trompée s’apprécie alors à l’aune, non pas de l’intention de l’auteur de l’engagement, mais à celle de la perception qu’en a eu son destinataire. A l’opposé de ce qu’induit la théorie de l’apparence, la conséquence en est donc, non pas la validation de la situation erronée, mais la mise en cause de la responsabilité de l’auteur de l’engagement. Pour en apprécier la teneur, la croyance du cocontractant est appréhendée par la jurisprudence de manière objective à travers les actes réalisés.
Au-delà, s’inspirant de la notion d’estoppel, deux arrêts du 6 juillet 2006 et du 20 septembre 2011 ont retenu que le champ d’application de la bonne foi pouvait inclure une obligation de ne pas se contredire au détriment d’autrui. Par ailleurs, la confiance est légitime en ce qu’elle répond à un standard du raisonnable que le juge tire du rapport de proportion entre le comportement de l’un et la croyance de l’autre. La conséquence en est notamment qu’une croyance excessive est considérée comme fautive pour celui qui a ainsi placé sa confiance.
2) La diversification des fonctions de la bonne foi en matière contractuelle.
La bonne foi apparaîtra tout d’abord comme consubstantielle à l’idée même de négociation en tant que la négociation doit avoir un sens ainsi qu’une réelle volonté d’aboutir. Ce n’est pas le cas s’il y a surenchère déraisonnable ou si une partie refuse systématiquement de prendre en compte les propositions raisonnables des négociateurs ou qu’il y a rupture des négociations afin d’éviter d’être confronté à des concessions à faire. De là à considérer que la bonne foi implique l’obligation d’accepter un compromis raisonnable, il n’y a donc pas loin. Au delà, le consentement au contrat joue un rôle important dans le domaine de la bonne foi en ce qu’il se fonde effectivement sur le principe du respect de la parole donnée.
Bonne foi et abus de droit sont par ailleurs des notions très proches au point qu’on peut parfois les confondre. Les deux notions renvoient tout d’abord à la même idée de communauté juridique sous-jacente. Ensuite, le rapport des deux notions peut se présenter sous la forme des deux volets d’une même réalité. Il y aurait ainsi la bonne foi sur le versant positif requérant certaines attitudes et l’abus de droit sur le versant négatif interdisant certaines conduites. L’interdiction de l’abus de droit dérive néanmoins de la bonne foi en ce qu’il en constitue l’une des concrétisations. Il est ainsi incompatible avec l’obligation de bonne foi d’exercer ses droits de manière abusive.
Au plan des modalités, la surenchère en vue de manœuvrer la partie adverse est tout autant incompatible avec la bonne foi. Le recours à la notion de bonne foi empêche également que, par application d’une règle procédurale, on aboutisse à des situations de non-conformité au regard des volontés contractuelles exprimées. Au nom du principe de bonne foi, le doute doit alors profiter à celui qui s’en prévaut. Il existe également une présomption de bonne foi qui organise la charge de la preuve et précise au détriment de qui l’absence de preuve opère. Certaines règles relatives à l’exécution du contrat semblent enfin prendre ainsi leur source dans la bonne foi. Ainsi en est-il très certainement de l’exception d’inexécution et de la résolution du contrat pour inexécution.
Sur la base de ces éléments, il ressort par ailleurs que l’obligation de négocier de bonne foi se décompose en trois éléments constitutifs. En premier lieu, tant qu’on participe aux négociations, il est interdit de les priver de leur objet et de leur but. Le but ultime est alors d’arriver à s’entendre. A partir de là, ce but doit rétroagir sur les obligations de comportement des parties tout au long du processus contractuel. L’ensemble dépend enfin de ce qu’une partie ne vide pas l’objet de la négociation de son contenu par des actes distincts de ceux de la négociation.
Sur le fond, il existe également une distinction entre l’obligation de négocier de bonne foi qui constitue le régime contractuel de base et l’obligation de coopération de bonne foi dans les domaines où des solidarités contractuelles sont consolidées. Dans le prolongement, le principe de bonne foi peut viser l’ajustement des droits à partir d’une mise en balance des intérêts contractuels respectifs. On retrouve notamment cette perspective de l’équilibre contractuel dans la notion de justice commutative développée par Aristote et reprise par Saint Thomas d’Aquin. A l’époque, le principe s’appliquait aux domaines de la vente, de l’achat, de la location, du dépôt, de la caution, du prêt à intérêt et de rémunération. En complément, le principe de justice commutative avait pour fonction de promouvoir un principe d’égalité proportionnelle à caractère distributif.
La doctrine a enfin eu l’occasion de se pencher sur le statut juridique du lien contractuel pris en tant que tel. Pour ce faire, elle est partie du constat que le contrat ne se réduit pas aux seules obligations qui lient les parties. Au-delà de l’échange contractuel, le contrat génère en effet un relationnel juridique fondé sur une confiance dont il s’agit d’assurer spécifiquement la protection. Ainsi en est-il très certainement pour ce qui est des contrats dits à exécution continue que sont le contrat de mariage, le contrat de bail ou encore le contrat flexible. Dans les contrats de mariage et de bail d’habitation, le lien créé ne se réduit effectivement pas à l’arithmétique des clauses qu’il contient. A fortiori en est-il concernant le contrat de mariage.
Dans le contrat flexible, une partie de la matière contractuelle n’est pas strictement définie mais laissée à la discrétion des parties au cours de la vie du contrat. Au delà des catégories classiques du changement de circonstances et de l’obligation de renégociation, l’avantage est d’offrir aux ajustements nécessaires ou périodiques du contrat un champ non strictement défini initialement. Tel peut-t-il en être, par exemple, des contrats internationaux de long terme en matière de fourniture d’énergie. Dans ce cas, l’analyse de la finalité du contrat tout comme la prise en compte de son équilibre initial servent d’assise à l’encadrement juridique de la flexibilisation du contrat.
3) La portée des interrogations sur la nature et le statut juridiques de la bonne foi contractuelle.
Historiquement, à Rome, la force obligatoire du contrat était essentiellement fondée sur le respect des formes contractuelles exigées. Dans un esprit de défiance possible, le formalisme qui caractérisait ce droit visait pour partie la soumission des rapports de volontés privées au droit au lieu d’en être le produit. En pratique, le primat de la forme juridique avait néanmoins souvent pour effet de sanctionner la partie la plus faible du contrat du fait de son ignorance, de son inattention, de sa maladresse ou encore de sa légèreté. Des contrats dits non-formels furent alors créés pour y pallier sur le fondement de la bonne foi. Ceci étant, la place donnée à la bonne foi resta toujours limité en droit romain aux contrats de vente, de louage et de mandat.
En opposition au primat romain du formalisme juridique, les principes du respect de la parole donnée et de l’obligation de remplir ses engagements furent, pour les canonistes du Moyen-Âge, un outil de lutte contre les excès du formalisme juridique issu de la tradition. La conséquence fut qu’il en résulta une mutation dans la conception même du contrat. La force obligatoire du contrat ne découla alors plus de sa stricte forme juridique mais trouva son fondement premier dans la volonté des contractants. Le non-respect de la parole donnée fut alors assimilé à un acte contraire à la bonne foi et à la justice tandis que l’ensemble se fondait sur l’idée que le mensonge est un péché.
Fondamentalement, les rapports entre bonne foi et équité ont également longtemps posé problème. Tantôt la bonne foi est considérée comme relevant du domaine de l’équité, tantôt c’est l’équité qui émane de la bonne foi. De ce point de vue, l’équité est une norme abstraite dont la question de la juridicité fait toujours débat. Elle intervient en effet dans les cas d’espèce en tant que correcteur du droit pour en adoucir les rigueurs et pallier l’injustice éventuelle des solutions qui s’en dégagent. A l’inverse, la bonne foi ne vise pas à tempère le droit dont elle fait partie intégrante mais à pallier, en son sein, aux conséquences excessives du primat de la volonté dans l’exercice des droits contractuels.
Dans le prolongement, il résulte de la mise en cause du volontarisme contractuel la question de savoir si la bonne foi puise sa force juridique du contrat lui-même ou bien dans norme extérieure. En la matière, l’article 1134-3 du Code civil disposant que le contrat doit être exécuté de bonne foi, on peut en effet en déduire l’existence d’une source extérieures au domaine du contrat. Au-delà de la mise en œuvre de l’article 1134-1, il devrait alors notamment en résulter que l’article 1134-3 puise sa force juridique dans l’article 1135 du Code civil qui énonce que « les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature ».
Pour la jurisprudence également, il en a assurément résulté de longue date la possibilité de ne pas cantonner le domaine contractuel de la bonne foi à l’exécution du contrat de l’article 1134-3 mais de l’élargir à l’ensemble de la matière contractuelle. Enfin, parce que l’obligation de bonne foi n’est pas considérée comme une obligation contractuelle au sens strict du terme, le manquement à la bonne foi dans la relation contractuelle ne relève pas du régime de la responsabilité contractuelle mais du régime de la responsabilité civile délictuelle de l’article 1382. Celui-ci dispose enfin que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».