Une foule de mythes entoure la figure de l'entrepreneur, diffusant une vision romantique et monolithique très éloignée de la réalité. Décryptage.
Admettre que l'entrepreneuriat est une affaire de gènes revient à penser que l'entrepreneuriat ne peut pas s'apprendre. Attaquer ce mythe a été au cœur des formations à l'entrepreneuriat. […] L'un de ces mythes les plus tenaces est que les entrepreneurs, y compris dans la technologie, sont des « personnalités inadaptées », notamment inadaptées aux études.
Bill Gates, Steve Jobs Mark Zuckerberg ne sont-ils pas, parmi de nombreux autres, des drop out ? C'est-à-dire des décrocheurs qui ont abandonné leurs études pour créer leur entreprise. Les créateurs d'entreprises technologiques que j'ai suivis sont loin d'être des décrocheurs ; tous sont - c'était mon point de départ - titulaires de diplômes renommés.
Cette situation n'est pas une exception mais plutôt la règle : une étude américaine* portant sur plus de 500 entreprises technologiques ayant un chiffre d'affaires de plus d'un million de dollars et employant plus de 20 salariés montre que 92 % de leurs créateurs sont titulaires d'un « bachelor » et 47 % d'un diplôme supérieur (30 % master, 10 % doctorat, 7 % autre). Les « décrocheurs » sont un mythe : la plupart des créateurs d'entreprises technologiques ont un diplôme universitaire. D'ailleurs, ceux que j'ai cités (Gates, Jobs ou Zuckerberg) étaient étudiants dans des universités très sélectives quand ils ont créé l'entreprise qui allait les rendre célèbres.
Une vision romantique de l'entrepreneur
Un autre mythe, lié à ce premier, est que les entrepreneurs sont des « doers » et pas des « thinkers », bref des personnes qui font, alors que d'autres pensent. De tels mythes ont des effets : dans les méthodologies de création d'entreprise les plus répandues, l'« exécution », le « faire » sont l'alpha et l'oméga des start-up. […] En fait, d'être capable de marcher et de se regarder marcher. Tous [les entrepreneurs] que j'ai suivis montrent une grande aptitude à analyser leur activité collective ou individuelle.
Bien sûr ils font, mais dans le même mouvement, ils pensent. Ils agissent pour penser. Faire et penser sont inextricablement liés comme l'envers et l'avers d'une même pièce.
Les entrepreneurs seraient aussi désordonnés, peu structurés et auraient un tempérament chaotique, « laissant d'autres mettre les choses sur les rails ». Voilà un autre mythe banal. Les travaux existants […] montrent qu'à l'inverse les entrepreneurs restent fortement impliqués dans tous les aspects de leur entreprise.
La liste pourrait être plus longue : j'ai cité plus haut le mythe de la prise du risque, celui de l'entrepreneur visionnaire ou de l’idée géniale. Je pourrais ajouter le mythe de l'Epiphanie (le moment magique où tout se révèle) ou celui de l'entrepreneur héros isolé, franc-tireur qui, seul contre tous, change le monde… Ces fables véhiculent une vision romantique de l'entrepreneuriat qui ne résiste [pas] aux nombreux travaux de recherche du domaine.
Il n'y a pas une condition monolithique de l'entrepreneur. Même au sein du très petit nombre de primo - entrepreneurs que j'ai interrogé apparaît une gamme très variée de rapports à l'entrepreneuriat. Ce qui les caractérise, au-delà de la grande diversité de leurs profils, de leur tempérament, de leur façon de se comporter, c'est plus une envie de faire, d'apprendre, de réussir, une grande capacité de travail, d'écoute des autres, de l'ambition… mais cela n'est en rien propre aux entrepreneurs. On retrouve ces mêmes envies ou aptitudes chez des salariés, des cadres de grandes entreprises, des responsables d'associations caritatives, des sportifs, des artistes, etc.