Notre monde est devenu chaotique. Les entreprises doivent se réinventer pour décider et agir.
Il est toujours très instructif de lire les lettres de Jeff Bezos [fondateur d'Amazon] à ses investisseurs.
Celle de 2017 contient deux passages très intéressants :
« Le monde extérieur peut vous pousser dans le Jour 2 [c'est-à-dire l'obsolescence] si vous ne pouvez pas ou ne voulez pas prendre rapidement à bras-le-corps les grandes tendances. Si vous les combattez, vous êtes probablement en train de combattre le futur. [...] Les sociétés qui sont dans leur 'deuxième jour' prennent des décisions de bonne qualité mais elles prennent ces décisions lentement. Pour garder l'énergie et le dynamisme du premier jour vous devez prendre des décisions de bonne qualité, vite. Ceci est facile pour les start-ups et un immense défi pour les grands groupes. »
Jeff Bezos décrit ainsi ce que doit être l'entreprise du monde chaotique : capable de penser stratégiquement en comprenant et en s'appuyant sur les tendances qui façonnent le futur et capable d'être agile en prenant très rapidement des décisions de bonne qualité.
Les risques de la mondialisation
Les grandes tendances qui préparent l'avenir de notre monde ne sont pas très nombreuses et sont assez souvent très documentées : la révolution technologique qui va changer notre façon de travailler, la révolution énergétique autour des renouvelables et du stockage, l'instabilité croissante des relations internationales et la montée constante des réseaux...
Quelques autres exemples valent la peine d'être détaillés. Le premier exemple est l'importance de l'Afrique et de l'Inde comme prochain terrain de croissance - sans oublier bien entendu la Chine dont l'importance n'est plus une tendance mais une réalité bien établie. [...]
Le deuxième exemple est la montée des risques - en particulier ceux afférents à la cybersécurité. Cette tendance ne peut être ignorée qu'au péril de l'entreprise, mais elle crée aussi des opportunités pour ceux qui sont capables de proposer des solutions de sécurisation, physique ou numérique.
Le troisième exemple est l'implication croissante des consommateurs dans l'activité de l'entreprise, phénomène facilité par les interactions numériques.
La prolifération des « User Generated Contents » dans les médias est bien connue, mais cela s'étend au monde industriel : ainsi les feedback des consommateurs sont de plus en plus rapidement intégrés dans la conception des produits ou même dans leur réalisation quand ceux-ci sont adaptés à chaque personne comme c'est le cas pour les chaussures de sport réalisées sur mesure par Adidas.
Un quatrième exemple est l'harmonisation progressive des coûts du travail autour de la planète au cours des dix dernières années. Sous l'effet de la crise en Europe et de la volonté de la Chine de rendre sa croissance plus endogène - ce qui demande de faire croître les salaires pour générer une demande interne et ne plus être que l'usine du monde dépendant des exportations -, le coût du travail à Pékin et à Lisbonne ou à Varsovie est similaire. Le ratio entre le coût d'une heure de travail en France et à Pékin est passé de 10 en 2005 à 3 en 2021. De même, le coût d'une heure de travail d'un ingénieur en informatique en Inde et en Pologne est désormais comparable.
Le cinquième exemple est la volonté clairement affichée d'une partie importante de la population de renouveler le contrat social. Cela est directement lié à la frustration des classes moyennes occidentales. Cela génère à la fois une demande d'un nouveau type - autour de produits ou de services considérés à tort ou à raison comme équitables et une plus grande attention au comportement des entreprises. Les réactions publiques à l'implication de Lafarge dans la construction du mur de la frontière mexicaine en témoignent. [...]
A la croisée des tendances
Penser stratégiquement demande aussi de se poser la question de ce que la confluence de deux ou plusieurs tendances peut engendrer. Une conséquence apparaît, par exemple, très clairement lorsque l'on croise les tendances de l'automatisation du travail grâce à la révolution numérique et à la montée des risques géopolitiques : les comités de direction doivent impérativement se poser la question de leur dépendance technologique. [...]
Une autre conséquence de ces tendances est l'importance prise par la propriété intellectuelle et les actifs intangibles. Cela demande donc de repenser l'intégralité de l'activité en cherchant à se focaliser sur ce type d'actifs. Il faut noter que plus la révolution numérique progressera et plus l'importance des actifs intangibles croîtra. [...] Enfin, une conséquence importante apparaît lorsqu'on croise les tendances de l'automatisation, de la convergence du coût du travail, de la déconcentration des sources d'énergie et de la montée des risques géopolitiques : la fin des délocalisations industrielles ou des prestations informatiques liées aux arbitrages de coût du travail.